Maurice ( Regnaut)

 

Deux poèmes dont HML BLUES,  extraits de

 

 L B L B L 

 

 Éditions    Bernard   Dumerchez

 

 

HLM  BLUES

 

 

C'était un soir de brume, un soir fantôme, et face à moi,

Seul au bout du parking, je cherchais des yeux cet immeuble,

Et face à moi en un instant se dresse à travers l'ombre

Un grand rectangle à carreaux partout bleu pâle et rouge ocre,

Un quadrillage étrange en vain tendu droit sur le vide,

Tenant en vain lieu de beauté.

                                                C'était au même instant,

C'était en moi la toujours là, c'était, éclatant toute,

Infini gouffre où tout ce qui est vu devient vision,

Devient présence à reconnaître et formuler sous peine

De folie ou de mort, tout-puissamment c'était l'angoisse,

Il me fallait, sur ce damier vertical, face à moi,

Sur cette image, et vite, il me fallait mettre des mots,

Parler, c'est tout, parler n'importe, il me fallait d'urgence

Exorciser la solitude en moi épouvantée,

Tout n'est-il pas toujours signe pour nous, jamais vers nous ?

 

Et c'est aussi au même instant, là-haut, qu'une fenêtre

En grand s'est ouverte, a surgi une ombre aux cheveux clairs,

En robe orange, et la voilà qui tousse et tousse et puis

Qui tend les bras : plus rien, délire, effroi, en moi plus rien,

Plus rien soudain de cet immense avortement d'extase,

Tout n'était plus en moi que paix soudaine et que silence,

Et sous mes yeux, bloc droit dans l'ombre, étage après étage,

Intérieurs éclairés, stores baissés un peu partout,

On y mange, on y bouge, on y vit, beauté toute humaine,

Oui, cet immeuble que je cherche, il est là, face à moi.

 

Et c'est ainsi pour toi que j'aurai écrit ce poème,

Pour toi en robe orange, aux cheveux clairs, soudain surgie

Presque tout en haut de ton H L M, toi te penchant

A ta fenêtre ouverte et toussant fort, les bras tendus,

Toi plus que simplement qui m'as sauvé de ma panique,

 Un soir de brume, un soir fantôme, en battant tes pantoufles.

 

 

 

 

 

- Mais si tu savais pourquoi j'ai crié,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Mais si tu savais, j'ai crié !

 

- C'était un étang, mon fils, et rien d'autre,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Un étang, mon fils, et rien d'autre.

 

- Mère, mère, mère, il était tout rouge,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Rouge, rouge, il était tout rouge !

 

- Un jardin sur l'eau, pivoines ou roses,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Ou pivoines sur l'eau ou roses.

 

- J'avais soif, si soif, j'ai tendu la bouche,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Et j'ai hurlé, la bouche en sang !

 

- Mon fils, mon fils, rien n'était rien, sois sage,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Rien n'était rien, dors et sois sage.

 

- Comment dormir, mère, le corps me tire,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Comment dormir, le corps me tire

 

- C'est la nuit des temps, mon fils, dors encore,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

C'est la nuit des temps, dors encore.

 

- L'ogre au fond de l'eau, dis-lui de se taire,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Au fond de l'eau, dis de se taire !

 

- Dors, mon assoiffé, mon étang, mon ogre,

O nuit sans donjon, ô soleil qui tarde,

Dors, tais-toi, dors, mon ogre, dors.

 

LBLBL  Editions Dumerchez